Marie-Hélène de Taillac

Marie-Hélène de Taillac

A la veille de passer son bac, à l’heure où les lycéennes contestaient les décors de leur chambre d’enfants à coups de posters et de stickers, Marie-Hélène de Taillac voguait depuis longtemps sur un immense lit drapé de velours rose corail, entourée de consoles chargées de couronnes et de tiares dorées, de cabochons multicolores, de bracelets de strass et de bagues enchâssées de cailloux éclatants.

Un rêve des « Mille et Une Nuits » sans doute inspiré des incessants voyages entre une vieille demeure crénelée dans le Gers, l’Hôtel de la Reine Zenobi à Palmyre, les souks de Beyrouth, les villas italiennes de la côte libyenne, où l’entraînaient les périples de son père, gentleman pétrolier…

A 18 ans, elle s’envole seule pour Londres et quelques semaines plus tard trouve à s’employer comme vendeuse puis chargée des relations publiques de Butler & Wilson, l’une des adresses alors les plus courues pour les bijoux fantaisie et faux diamants de la Couronne si chers aux Britanniques…

Ce qui pourrait sembler une passion excentrique et passagère, révèle et témoigne en réalité d’une exigence, d’une quête jamais satisfaites.

Mieux que des années d’études, les heures passées à manipuler les parures, à les présenter aux amateurs les plus excentriques de la planète, forment l’œil de Marie-Hélène, accroissent et affinent sa préhension des pierres, des sertissages, des techniques.

Mais ce n’est pas encore assez et, à chaque moment libre, elle court les musées, les marchés aux puces londoniens, les salles des ventes, sans acquérir; simplement pour observer les pièces, s’en imprégner.

Elle dévore les ouvrages consacrés aux grands joailliers.

Marie-Hélène à sa table par JP Delhomme

Directrice de Dinny Hall, assistante du créateur de haute couture Victor Edelstein, chargée des collections de Philip Treacy, chapelier de la Reine, le Swinging London tend les bras à cette française qui pourrait être anglaise.

Pourtant, en 1995, elle décide de tout quitter : amis, travail, sécurité collection de bijoux accumulés depuis l’enfance… pour entreprendre un tour d’Asie dont elle n’a pas fixé les limites.

Seules les sources des pierres et des matières précieuses dressent la carte de son voyage : argent des bracelets balinais, perles du Japon, ors ciselés de Thaïlande, rubis et saphirs birmans…

Chaque nouvelle étape est pour elle l’occasion de se défaire un peu plus de ses habitudes, de se dépouiller de ses réflexes culturels.

Après des mois d’aventure solitaire, entre hôtels de routard et palaces déclassés, Marie-Hélène découvre Jaïpur.

La mythique ville rose, créée au XVIIIe siècle par la seule volonté du Maharadja Jai Singh II qui a décidé d’y réunir les meilleurs orfèvres et artisans que compte l’immense continent indien. Deux siècles plus tard, ils sont toujours là et ont fondé des dynasties très actives et florissantes, en particulier les joailliers dont les pièces attirent souverains et célébrités.

Et la capitale du Rajasthan commence à supplanter la vieille Europe pour le choix, la qualité et la taille des pierres.

Entre fonderies d’émaux, ateliers de polissage et de sertissage, négociants venus de tous les horizons proposer les gemmes les plus rares, Marie-Hélène ne quitte plus ses mentors indiens. A leur contact, elle va à l’essentiel : la beauté des pierres, la simplicité des volumes et des montures qui les mettent totalement en valeur.

Marie-Hélène à sa table par JP Delhomme

Seules comptent la couleur, la profondeur et la lumière, l’élégance du bijou, l’aura qu’il dégage.

Un lieu la retient plus que les autres : le Gem Palace.

Héritier de sept générations d’orfèvres qui ont rendu la maison célèbre, Munnu Kasliwal tente justement de s’extraire des lourdes formes traditionnelles tout en conservant les anciennes techniques d’assemblage et de montage qui, elles, requièrent des prouesses de finesse et d’ingéniosité. Pour la jeune femme, c’est l’occasion d’aller encore plus avant dans sa quête de simplicité, de légèreté. Dès 1996, elle créée sa propre marque que de nombreuses enseignes prestigieuses distribuent immédiatement.

Puis elle ouvre MHT à Tokyo, à Paris et plus tard à New York

Grâce à Marie-Hélène de Taillac, les pierres dites semi-précieuses, jusque là minorées, prennent bientôt tout leur prix car ses créations révèlent enfin leur incroyable éclat et la variation de leurs couleurs selon qui les porte. Elle bouleverse à tel point les codes de la joaillerie que les plus grands s’en inspirent tandis que les copies fleurissent. Mais elle n’en a cure.

D’autres dessins, d’autres pierres, d’autres lieux l’appellent déjà, tant seule une passion la guide.

Celle du simple…

« Genèse d'un bijou »

Collier Scarf Dancing Emilie

Un monde sépare un bijou conçu et réalisé par des machines-outils d’une œuvre de joaillerie réalisée à la main.

La seule description du travail sur une pièce créée par Marie-Hélène de Taillac témoigne d’un savoir-faire rare et mérite qu’il soit précisément explicité.

C’est un long cheminement qui commence soit avec l’inspiration d’une forme, soit avec la découverte d’une pierre ou d’une palette de teintes.

Après de très longues recherches - couleurs, formes, tailles - et négociations, car les belles pierres sont chères et difficiles à trouver, chacune d’entre elle, précieuse ou fine, est soigneusement étudiée par Marie-Hélène et par ses lapidaires, très peu nombreux et unanimement respectés dans leur corporation.

Un va-et-vient, parfois de plusieurs jours, s’opère alors entre la créatrice et l’atelier de taille pour, facette par facette, tirer toute sa quintessence de la pierre.

Ainsi, toutes les gemmes sont taillées une à une.

Une erreur de manipulation, une faille, un défaut peuvent réduire à néant tout espoir d’utilisation.

Puis, leur sertissage, leur façonnage font appel à des techniques traditionnelles. Chaque pierre est montée sur mesure, l’or fondu, découpé, adapté, ciselé à la main.

Là encore, qu’un accident se produise sur une des pierres ou une des montures et tout est à recommencer.

Sur une pièce qui compte des dizaines de gemmes, qu’une seule fasse défaut et c’est l’ensemble qui est remis en question.

Collier Scarf Bracelet Pénélope

Des jours, des semaines, sont nécessaires pour élaborer de telles créations, pour mettre au point une nouvelle taille de pierre, pour tisser de l’or. Plus d’un an, même, pour un collier serti de saphirs pastels tel le « Cléopâtre » …

Comme dans la haute-couture, c’est affaire de techniques et d’essayages successifs pour aboutir à un modèle parfait, souvent d’une ligne si simple et si pure qu’il paraît avoir toujours existé.

L’Inde est une des clés de ce travail unique, car c’est sans doute l’un des derniers endroits au monde où l’expertise des artisans permet de surmonter tous les obstacles, de réaliser tous les dessins, de trouver une taille, une monture, une particularité à chaque création.

La production proposée par de nombreux joailliers contemporains, dont, singulièrement, beaucoup ont tenté de s’inspirer de l’originalité de Marie-Hélène de Taillac, est souvent à l’exact inverse.

C’est d’abord un prototype de bijou qui est prédéterminé, une monture moulée, puis des pierres qui sont toutes calibrées à la dimension du modèle. Pliées aux normes et aux exigences d’une production industrielle de masse, les pierres deviennent toutes identiques, standardisées, dupliquées, sans âme ni lumière.

Avec de telles méthodes industrielles, comparer cette bijouterie à la réalisation de pièces uniques a peu de sens.

Les pièces uniques de Marie-Hélène de Taillac ont une magie que leur confèrent la passion et le travail manuel.